Quand Sputnik News découvre le féminisme

Sputnik News dans le monde journalistique, c’est un peu l’équivalent d’Éric Duhaime en terme de crédibilité pour parler de féminisme.

Hier, dans un papier (très sérieux) le journaliste Jérôme Blanchet-Gravel essayait de comprendre l’évolution du féminisme au Québec. Si le sujet se veut informatif, il s’agit surtout d’un article à charge contre la FFQ…basé uniquement sur une entrevue avec Diane Guilbault, présidente de PDFQ.

Chaque journaliste a droit à ses opinions lorsqu’il/elle s’attaque à un sujet mais de là à produire un papier à charge, sans aucune définition des termes employés et sans un minimum de recul sur l’information collectée en entrevue, il y a un monde.

C’est pourquoi des organes de presse qui ont construit leur réputation sur leur rigueur journalistique ont déjà fourni un travail de recherche sur le rôle de désinformation voir même de propagande du média Sputnik News. Le New York Times a déjà montré que ce média diffuse intentionnellement de la fausse information et Le Nouvel Observateur a plus généralement montré les liens qui existent entre l’extrême-droite et Sputnik News.

Ce n’est donc pas très surprenant – bien que franchement maladroit – qu’un groupe conservateur choisisse de donner une tribune à ce « média ». Il est en effet malaisant, mais révélateur, de choisir ce média pour faire part de son opposition aux droits de certaines femmes.

Voici donc un fact-checking en 7 points de l’article de Sputnik News : 

Paragraphe 1:

Il ne s’agit pas d’une “chamaille” – expression infantilisante et sexiste s’il en est. Quelques femmes conservatrices ont quitté la FFQ lorsque avec  l’ensemble de nos membres – réunies en Congrès d’orientation en 2015 – nous avons choisi de défendre les droits de toutes les femmes.

Il ne s’agit alors pas d’un simple désaccord anecdotique mais d’une urgence politique face à la montée de l’islamophobie et du conservatisme. Les féministes doivent s’unir pour défendre les droits de toutes les femmes.

Paragraphe 2:

La mission et la déclaration de principes de la Fédération des femmes du Québec sont très claires. Elles précisent que l’organisme lutte “pour les droits de toutes les femmes dans une perspective décoloniale et travaille à la transformation et à l’élimination des rapports sociaux de sexe et des rapports de domination dans toutes les sphères de la vie, en vue de favoriser le développement de la pleine autonomie de toutes les femmes.”

Il ne s’agit pas de mettre de l’avant des “prescriptions religieuses” comme le prétend ce propos. Il s’agit de reconnaître que la liberté religieuse est un droit fondamental pour toutes les femmes. Ce droit inclut celui de porter un foulard ou non. La pratique de la religion s’exprime de différente façon et comme Fédération, notre rôle n’est pas de juger de ce choix mais bien de juger du droit des femmes de le faire. 

Par ailleurs, il est contradictoire de la part de PDFQ de comparer “le voile” à un “panneau publicitaire” dans son mémoire sur la loi 21 et de se présenter comme un organisme de défense des droits des femmes. Cela dénote une méconnaissance complète du cadre juridique québécois qu’elles prétendent défendre. En effet, le “voile” tout comme la “kippa”, le « turban sikh » ou la « croix chrétienne » relèvent de la liberté de conscience et de religion (telle qu’évoquée par exemple dans l’article 3 de la charte des droits et libertés de la personne du Québec) et ne saurait être comparée à “un panneau publicitaire”.

Oser une telle comparaison est non seulement déshumanisant mais aussi en contradiction totale des principes de base du droit

Paragraphe 3:

Encore là, c’est faux.

La FFQ défendait la laïcité de l’État avant même que PDF n’existe : tout comme la Ligue des droits et libertés, Amnesty International, la Commission des droits de la personne et de la jeunesse, la FFQ est en faveur d’une laïcité respectueuse des droits et libertés fondamentales et qui travaille réellement à faire une séparation entre le pouvoir politique et le pouvoir religieux. Surtout, nous savons que les attaques contre les droits des femmes musulmanes à travailler librement font parties de la montée générale du conservatisme, du racisme et de l’islamophobie.

Paragraphe 4:

Faux.

C’est un des letmotiv des mouvements conservateurs que de dénoncer les mouvements sociaux comme “particularistes” ou individualistes”. C’est une stratégie vieille comme le monde pour faire taire les demandes de justice sociale: combien de fois a-t-on demandé aux femmes de ne pas déranger avec leurs “revendications identitaires” ?

À l’inverse, ce sont justement les femmes à travers le monde – et en premier les femmes noires – qui ont développé l’approche intersectionnelle.

Le féminisme est la lutte collective pour l’égalité pour toutes et l’égalité entre toutes. Le féminisme, c’est la lutte pour l’autonomie des femmes, pour leur droits de travailler et de s’habiller comme elles veulent.

Paragraphe 5:

C’est faux.  Il est absurde de croire qu’il y a “un” féminisme américain. En revanche, il est clair qu’il y a une montée des conservatismes à travers le monde. À l’approche de la marche mondiale des femmes, nous espérons créer des solidarités avec les femmes partout à travers le monde que ce soit en France, aux États-Unis ou ailleurs.

Par ailleurs, dans un mémoire de 30 pages, la FFQ avait développé très précisément son positionnement contre la loi 21. Dans ce mémoire, il est fait nullement mention d’un cadre de référence américain mais plutôt de références universitaires sur les conséquences désastreuses de telles projets législatifs. Il était surtout aussi question de préserver l’héritage de la Charte des droits et libertés du Québec votée à l’unanimité en 1975 par le parlement québécois.

Paragraphe 6:

Faux.

En réalité, cette attention à son identité trans vient des différents médias ayant jugé utile de pointer du doigt son identité pour attaquer ses positions. Vous avez un exemple ici,  ou encore là. En effet, être une femme trans aujourd’hui au Québec se traduit encore par des articles à charge et des propos haineux. C’est ce qui arrive dans une société qui impose ses normes aux femmes minoritaires.

Paragraphe 7:

Faux. Il n’y a bien que des conservateurs pour croire que les idées respectent les frontières nationales. L’histoire des féminismes au Québec est évidemment bien plus complexe. Il y a des féministes qui luttent pour le droit de toutes les femmes et il y a des groupes reproduisant l’hégémonie conservatrice.

Se définissant comme “universalistes”, ces groupes prennent en otage la défense des droits des femmes en imposant des agendas qui favorisent seulement les plus privilégiées au détriment des femmes les plus vulnérables.

Avec la montée des conservatismes à travers le monde, il est plus urgent que jamais de créer des coalitions féministes fortes, c’est-à-dire fondées sur la défense des droits de chacune d’entre nous. Avec nos allié.es et nos membres, nous continuerons de défendre le droit de toutes les femmes.