Les conditions de stage étudiant : une question de genre

7 AVRIL 2025

Dans le cadre du projet ‘’La valorisation genrée des stages étudiants par de meilleures conditions‘’, financé par Femmes et Égalités des Genres Canada (FEGC), la Fédération des femmes du Québec s’engage à étudier, par le biais d’une analyse de besoin, les conditions des stages étudiants dans les secteurs majoritairement féminins au niveau postsecondaire (universitaire et collégial). 

À travers cet article, nous vous proposons un bref survol de la littérature que nous avons lue jusqu’à présent sur les conditions de stage au Québec. Nous mettrons de l’avant le caractère genré des stages et nous expliquerons pourquoi il est important de s’attarder à la réalité des stagiaires, ainsi que d’améliorer et de valoriser leurs conditions. Nous terminerons le texte en vous donnant plus de détails sur les étapes à venir de notre projet.

Les principaux enjeux entourant les stages au Québec

Selon notre recension des écrits, les principaux enjeux entourant les stages concernent leur non-rémunération, leur manque d’encadrement législatif et la variabilité dans les conventions, l’encadrement et la supervision des stages.

Non-rémunération des stages : l’enjeu le plus médiatisé

La non-rémunération des stages étudiants est l’enjeu qui a été le plus médiatisé dans les dernières années et qui a fait l’objet de plus de mobilisations étudiantes. Cette réalité touche la majorité des personnes étudiantes. En effet, selon un article de La Presse (2024), ce sont 84% des stagiaires au Québec qui ne reçoivent aucune compensation financière durant leur stage. La rémunération des stages est d’ailleurs un sujet de débats au niveau politique et auprès du public. Pour certains, comme les stages constituent une forme d’apprentissage, ces activités ne devraient pas être rémunérées. Pour d’autres, puisque les stages constituent une forme de travail, il serait nécessaire de rémunérer les stagiaires. Enfin, bien que le Gouvernement du Québec offre certaines bourses aux stagiaires, leurs montants représentent souvent des revenus qui sont plus bas que le salaire minimum (Lokrou et Posca, 2023).

Manque d’encadrement législatif

Au niveau légal, ce ne sont pas tous les stages qui sont réglementés par la Loi sur les normes du travail (LNT). Les personnes stagiaires salariées (donc, qui ont un contrat de travail) sont, pour leur part, automatiquement protégées par la LNT (Lokrou et Posca, 2023). En 2022, est tout de même entrée en vigueur la Loi visant à assurer la protection des stagiaires en milieu de travail, qui protège tous les stagiaires, peu importe s’ils ou elles reçoivent une rémunération. Celle-ci permet aux stagiaires de s’absenter lors de congés ou pour des raisons médicales, parentales ou familiales. Elle oblige également les établissements d’enseignement ou l’employeur à mettre en place des mesures pour prévenir le harcèlement psychologique (Gouvernement du Québec, 2024). Cette nouvelle loi contient toutefois des dispositions qui sont moins avantageuses que la LNT (Bernier et al., 2022; Lokrou et Posca, 2023).

Variabilité dans les conventions, l’encadrement et la supervision

Au niveau des conventions stages, certains stagiaires bénéficient de contrats qui balisent les responsabilités des différentes parties prenantes, les objectifs à atteindre, la nature des activités et les modalités d’évaluation, alors que d’autres n’en auraient pas. En outre, la supervision et l’encadrement des stages seraient variables notamment en ce qui concerne le temps, la fréquence de la supervision, l’intégration dans le milieu de stage et le niveau d’expérience des superviseurs (Gouvernement du Québec, 2019; CADEUL, 2020).

En bref, l’absence de balises claires, concernant la rémunération, la législation, l’encadrement et la supervision des stages, nous informe que la qualité des stages étudiants est variable, ce qui peut considérablement affecter l’expérience et la réussite des stagiaires. 

Les femmes davantage concernées par les mauvaises conditions de stages

Notre recension des écrits sur les stages nous révèle qu’ils affectent particulièrement les femmes, notamment puisqu’elles constituent la majorité des stagiaires et parce qu’ils les précarisent économiquement et nuisent à leur conciliation travail-famille-étude. En outre, certaines femmes seraient plus touchées par la réalité des stages. Les mauvaises conditions de stages seraient aussi le reflet de la dévalorisation des professions à prédominance féminine.

Prédominance des femmes comme stagiaires non-rémunérés

Les femmes sont sur-représentées comme stagiaires au niveau postsecondaire. En effet, selon une note socioéconomique publiée par l’Institut de recherche et d’informations socio-économiques (IRIS) en 2023, les femmes représentaient 64% des stagiaires à l’université et 74% au collégial, pour l’année scolaire 2017-2018. De plus, les stages non rémunérés touchent principalement les secteurs professionnels majoritairement féminins (santé, éducation, intervention sociale, etc.), dont les stages sont obligatoires pour l’obtention du diplôme. Ainsi, des stages sont non rémunérés notamment dans les programmes suivants :

  • Éducation à la petite enfance
  • Enseignement primaire et secondaire
  • Soins infirmiers
  • Travail social
  • Sciences de la santé
  • Sciences sociales et intervention

Précarisation économique des femmes et conciliation travail-famille-étude

Plusieurs études révèlent que les conditions de stages, telles que leur non-rémunération, auraient pour effet de précariser économiquement les femmes. En effet, puisque les stages sont prenants en termes de temps, il n’est donc pas toujours possible de cumuler les études, le stage et un emploi rémunéré. D’après une enquête du Comité pour la rémunération des internats et des stages de l’Université du Québec en Outaouais (CRIS-UQO, 2017), «pas moins de 84 % des stagiaires consacrent plus de 20 heures par semaine à leur stage, tandis que 37 % y consacrent plus de 30 heures et 15 % plus de 40 heures» (cité dans CADEUL, 2020, p. 47). En outre, étant donné que les femmes détiennent généralement plus de responsabilités familiales et parentales, les stages sont susceptibles d’avoir un plus grand impact sur leur conciliation travail-famille-étude (ADEESE, 2018; Carrier-Plante et Retg, 2018; Gouvernement du Québec, 2019, etc.). 

Enjeux intersectionnels

Les mères monoparentales, les étudiantes en situation de handicap, les femmes qui sont défavorisées économiquement et les personnes immigrantes ou celles qui sont de première génération à l’université rencontreraient plus de difficultés durant leur stage (ADEESE, 2018; Carrier-Plante et Regt, 2018; Berthiaume et al. 2021). Toutefois, la plupart des références mentionnant que des femmes vivant à l’intersection de multiples oppressions seraient plus touchées par les conditions de stages ne décrivent pas précisément et concrètement de quelles manières ces femmes en seraient plus impactées. 

Dévalorisation des professions féminisées

La sous-rémunération et les piètres conditions de stage des étudiantes dans des programmes majoritairement féminins sont le reflet de la dévalorisation des professions traditionnellement et majoritairement féminines. Puisque ces emplois seraient considérés comme moins difficiles, avec moins de responsabilités et comme étant non productifs, ceci légitimerait moins de reconnaissance et moins de valeurs économiques et sociales à leurs égards. Conséquemment, les femmes qui exercent ces fonctions seraient moins bien payées pour faire leurs tâches (Carrier-Plante et Regt, 2018; Berthiaume et al., 2021; Lokrou et Posca, 2023).

À la lumière de nos lectures, nous remarquons que les stages ne sont pas seulement une étape académique, mais un miroir des inégalités structurelles de notre société. Ainsi, la précarité que vivent les stagiaires durant leur étude serait perpétuée, par la suite, lorsqu’elles entrent sur le marché du travail, étant donné les mauvaises conditions dans ces secteurs d’emplois.

Le projet de valorisation des conditions de stage de la FFQ

Notre projet ‘’La valorisation genrée des stages étudiants par de meilleures conditions’’ s’attardera ainsi aux obstacles systémiques auxquels les femmes stagiaires sont confrontées lors de leurs parcours étudiants. Au cours de ce projet d’une durée de 30 mois, nous effectuerons d’abord une analyse de besoin sur la réalité des stagiaires, puis nous développerons, en concertation, une stratégie de changement systémique pour améliorer les conditions de stages dans certains établissements d’enseignement collégial et universitaire.

Analyse de besoin

Durant la première année du projet, une analyse de besoin sera réalisée afin de cerner les difficultés auxquelles font face les stagiaires qui étudient dans des domaines majoritairement féminins, dont le stage est obligatoire pour l’obtention de leur diplôme. À ce moment-là, nous tenterons de répondre à certaines questions qui demeurent en suspens dans la littérature : 

  • Quels sont les effets des stages sur la santé mentale et physique, le bien-être, la vie sociale et la réussite et la persévérance scolaire des femmes ?
  • De quelles manières les conditions de stages affectent-elles plus particulièrement certains groupes de femmes ?
  • Pourquoi ces conditions sont présentes ?
  • Comment améliorer ces conditions de stages ?

Pour ce faire, des entretiens individuels et de groupe seront réalisés auprès de stagiaires et auprès de personnes étant reliées aux stages et/ou ayant accompagné des stagiaires (superviseur.e.s, responsables de placement, direction des départements et des écoles, etc.). Ces entrevues mettront entre autres de l’avant l’expérience des stagiaires, tout en faisant ressortir leurs vécus communs, les obstacles systémiques, les résistances et les solutions possibles pour améliorer leurs conditions. Pour cette recherche, nous nous appuierons également sur la littérature existante sur le sujet. Enfin, l’analyse de besoins tend à produire des recommandations applicables pour les milieux scolaires étudiés.

Stratégie de changement systémique en concertation

Les recommandations, qui seront émises dans le cadre de l’analyse de besoin, serviront à nourrir une stratégie de changement systémique que nous mettrons en place dans trois établissements d’enseignement postsecondaire (dont au moins un en région), laquelle aura pour but d’améliorer les conditions de stage. Avec ces actions, nous aspirons également à accroître la sécurité économique et la prospérité des femmes. Cette stratégie sera développée grâce à une table de concertation réunissant plusieurs actrices et acteurs intéressé.e.s par la questions des stages étudiants. Finalement, des outils d’informations et de sensibilisation pour les membres de la table de concertation, pour les institutions scolaires et pour le grand public seront développés au cours du projet. 

Vous avez envie de vous impliquer dans le projet ?

  • Pour participer aux entretiens pour l’analyse de besoin, rejoignez Pascale : recherchestage@ffq.qc.ca
  • Pour vous joindre à la concertation ou pour toutes autres questions, contactez Aude: concertationstage@ffq.qc.ca

Bibliographie

  • Association des étudiantes et étudiants de la faculté des sciences de l’éducation de l’Université du Québec à Montréal (ADEESE-UQAM) (2018). Enjeux et perspectives sur la rémunération des stages. Association des étudiantes et étudiants de la faculté des sciences de l’éducation de l’Université du Québec à Montréal (ADEESE-UQAM).
  • Association étudiante du Cégep Garneau (AGÉCFXG) (2018). La précarité financière et juridique des stagiaires québécois : le cas de la région de Québec. Mémoire déposé dans le cadre des consultations sur le projet de loi no 176. Loi modifiant la Loi sur les normes du travail. https://www.assnat.qc.ca/Media/Process.aspx?MediaId=ANQ.Vigie.Bll.DocumentGenerique_138977&process=Default&token=ZyMoxNwUn8ikQ+TRKYwPCjWrKwg+vIv9rjij7p3xLGTZDmLVSmJLoqe/vG7/YWzz
  • Bernier, M.-È., Bernstein, S., Gesualdi-Fecteau, D., Trudeau, G., & Guylaine, V. (2022). Mémoire présenté à la Commission de l’économie et du travail. Projet de loi 14, Loi visant à assurer la protection des stagiaires en milieu de travail. Gouvernement du Québec, Assemblée nationale du Québec.
  • Berthiaume, A., Poirier, A. l., Simard, V. r., Tremblay-Fournier, C., & Simard, E. t. (2021). Grève des stages, grève des femmes : anthologie d’une lutte féministe pour un salaire étudiant (2016-2019). Les Éditions du Remue-ménage.
  • Carrier-Plante, C., & Retg, C. (2018). Les stages et les stagiaires du réseau universitaire québécois. Portraits, enjeux et réalités. L’Association pour la voix étudiante au Québec (AVEQ); L’Association des étudiantes et des étudiants de la Faculté des sciences de l’éducation de l’UQÀM (ADEESE-UQÀM).
  • Duhaime, É. N. (2018). Enjeux et perspective entourant le statut des stagiaires au niveau collégial. Fédération étudiante collégiale du Québec (FECQ), Institut de recherche en économie contemporaine. https://irec.quebec/ressources/Recherche-IREC-statut-stagiaires_sept-2018.pdf
  • Gobeil, V., & Tremblay, A. (2018). La compensation financière des stages obligatoires au collégial. Fédération étudiante collégiale du Québec (FECQ), Institut de recherche en économie contemporaine. https://irec.quebec/ressources/publications/Rapport_FECQ_mars2018.pdf